Ce lundi à 19 h, j’étais présent aux côtés des sept salariés de Chapitre Belfort licenciés, pour le dernier baissé de rideau avant la fermeture de la librairie, 134 ans après son ouverture (voir article ci-dessous).
J’étais arrivé un peu avant, vers 18 h 45. Un appel de Paris venait de confirmer la nouvelle attendue : le tribunal de commerce a pris acte qu’aucun repreneur ne s’était manifesté pour Belfort. C’était fini. Le rideau tombait définitivement sur Chapitre Belfort. Dès mardi matin, les salariés étaient dispensés de se rendre à leur travail, pour un licenciement effectif au mois de mars.
Cela a été pour moi un moment fort en émotion. J’ai été ému par la détresse des salariés - pour certains les yeux mouillés, la gorge serrée - qui se sont engagés avec foi dans leur travail depuis tant d’années. Pour les suivre depuis plusieurs mois, et les connaitre depuis longtemps, je pense qu’ils trouvent là une bien mauvaise récompense à leurs efforts.
Je tenais à être à leurs côtés par rapport à eux tout d’abord, mais aussi pour les souvenirs que j’ai là-bas. La « librairie Koël », c’est une partie de mon enfance. Les années d’école, de collège, de lycée, où l’on venait chercher là chaque mois de septembre, les fournitures scolaires et les livres demandés par les enseignants. Hormis la librairie des demoiselles Riebert, à l’angle de la rue de Lille et de l’avenue Jean-Jaurès, il n’y avait guère de concurrence à Belfort.
A 25 ans, quand j’ai écrit mon premier livre d’Histoire sur Belfort, avec mon ami André Larger, c’est la librairie Koël qui a accueilli notre première séance de dédicaces. Et Philippe, le grand monsieur maigre, était déjà là. J’y ai pensé en le revoyant lundi soir. Il proposait un rayon « Livres régionaux » d’excellente tenue : on y trouvait tous les livres sur Belfort, le Territoire, la Franche-Comté et l’Alsace… Le samedi, lorsque mes parents faisaient des courses dans le faubourg de France, j’aimais venir y feuilleter de longues minutes ces ouvrages qui m’inspiraient. Autant d’idées pour les cadeaux de Noël, et pour les achats.
Une librairie, c’est pour moi un sanctuaire, un lieu de savoir, d’échanges culturels… Ce n’est pas un lieu comme les autres. C’est sans doute aussi pour cela que l’événement a autant marqué les esprits hier soir. Un ancien directeur était présent, de même qu’un fidèle client.
Il est maintenant de la responsabilité des actionnaires, de l’Etat, et des mandataires judiciaires, de permettre aux salariés de partir dans des conditions dignes. Je demande un vrai plan d’accompagnement pour les salariés licenciés : un PSE et une cellule de reclassement doivent être mis en place. J’ai laissé ce message hier à Eric Foucault, directeur national de Chapitre.
Localement, à Belfort, tout le monde doit être à leurs côtés pour les aider à retrouver un emploi dans leur branche, ou dans une autre. Plusieurs salariés ont déjà entamé des formations dans ce but. J’invite toute les personnes intéressées à prendre contact au plus vite.
Il est enfin de la responsabilité de la Ville de Belfort de ne pas laisser faire n’importe quoi dans ces 300 m² de locaux commerciaux. Elle a les outils juridiques pour suivre ce qui se passe. Je ne souhaite pas voir arriver une activité qui appauvrisse le faubourg de France. Il y faut de la chaleur humaine, un supplément d’âme, comme savaient très bien le faire les salariés de Chapitre.
Vers 19 h 15, j’ai laissé les salariés dans leur librairie fermée. Ils avaient prévu une petite collation, une dernière fois ensemble.
J’ai pris congé. Ils m’ont ouvert la porte qu’ils avaient bloquée en position fermée. Dehors, il faisait nuit, froid et la pluie tombait. Mais demain, il faudra oublier ce jour de grisaille ; le soleil se lèvera à nouveau.
Avec des employés de Chapitre et Renaud Rousselet, lors de ma visite le 26 Septembre.
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