A trois mètres sous le niveau du sol, les archéologues de l'INRAP ont mis
au jour ce matin deux sépultures humaines sous la place d'Armes de Belfort. Ils
ont en même temps mis au jour un imposant mur de fortification qui pourrait
remonter au Moyen Âge, mur inconnu des historiens jusqu'à maintenant.

Les archéologues ont donc effectué ce jour des découvertes majeures pour la
compréhension du passé de notre ville.
Il me semble temps de faire avec vous un point sur ces fouilles
archéologiques, uniquement à partir de mes observations, comme tous les
Belfortains en me promenant autour du périmètre de fouilles, et pour avoir
échangé rapidement avec l'archéologue en charge du chantier (qui ne veut
cependant rien dire avant d'avoir fini de fouiller le secteur).
Voilà mes premières déductions:
1/ les fouilles confirment la présence du canal de Vauban (couvert au XIXe
siècle) devant le pressing Zattarin et les Trois Maillets
2/ le souterrain que l'on voit passer sous le kiosque à musique depuis le
Tabac Rouby (photo ci-dessous) est bien de l'époque Vauban (entre 1687 et 1725 environ). C'était un canal
d'adduction d'eau qui permettait de drainer les eaux usées et pluviales des
maisons neuves situées entre la place d'armes et l'actuelle place de la
République. Il est organisé en patte d'oie: deux conduits viennent, l'un du
secteur Bar des Marronniers, l'autre du côté Perello. Ils se rejoignaient au
niveau des actuelles fouilles, pour ne faire plus qu'un en passant sous le
kiosque, avant de se jeter dans le canal, au niveau des Trois Maillets.

3/ les souterrains Vauban ont été construits en détruisant en partie un
mur de fortification médiéval complètement inattendu à cet endroit. Ce
mur suit, en légère courbe, l'orientation de la place d'Armes. Jusqu'à
maintenant, on pensait qu'au Moyen Âge, la ville de Belfort s'arrêtait au
niveau de ce fameux canal (axe rue du Quai - rue des Boucheries) qui était le
fossé extérieur. En 1975, lors des dernières fouilles d'ampleur sur le secteur,
l'archéologue Michel Rilliot avait suivi le mur intérieur de fortification tout
au long de la rue Roussel. Selon les usages de l'époque, il y avait ensuite un
espace d'une vingtaine de mètres avant d'arriver au mur de fortification
externe. Cet espace était parfois utilisé pour des jardins potagers ou des carpieres.
Et maintenant, grande surprise: il y avait un mur de fortification (environ
un mètre de profondeur) bien au delà du canal. Était-ce un ouvrage avancé ? Ou
la fortification était-elle plus loin que prévue, laissant passer dans la ville
(entre le mur intérieur et le mur extérieur) l'eau de la Savoureuse afin
d'alimenter les carpières ?? J'opterai volontiers pour cette deuxième
solution...jusqu'à obtenir des informations plus précises.
4/ deux squelettes ont été exhumés "au pied du mur" de
fortification découvert, trois mètres sous le niveau actuel de la place
d'Armes. Il semble s'agir de sujets adultes, enterrés les pieds orientés vers
l'Est, les bras soigneusement repliés sur le torse pour l'un des deux. A quand
remontent-ils, et pourquoi sont-ils enterrés là ?
- il s'agit forcément de sujets enterrés avant Vauban, donc avant 1687,
puisqu'ils se trouvent dans la couche archéologique inférieure.
- on n'inhumait jamais à cet endroit à Belfort. Dans la Vieille-Ville, à
l'époque médiévale et moderne, il y avait des tombes autour de la vieille
église Saint-Denis (sous la cour de l'actuelle école Jules Heidet). Hors la
ville, les Belfortains allaient se faire enterrer autour de la chapelle de
Brasse (citée dès 1187).
- en cas d'épidémie (la peste a sévi plusieurs fois à Belfort) il pouvait y
avoir des fosses communes, mais à l'écart de la ville, et avec peu de soins
dans l'ensevelissement des cadavres. Ce n'est pas le cas ici, et deux corps, ce
serait trop peu pour une fosse commune.

Il faudrait collecter d'autres éléments pour avoir une datation plus
précise. Y avait-il du mobilier autour des deux squelettes (bagues, armes,
morceaux de bois...) ? L'archéologue ne m'a pas répondu sur ce point, mais un
témoin habitant la Vieille-Ville m'a certifié qu'ils a vu les archéologues
sortir des morceaux de tissu (vêtements?).
J'ose une hypothèse. Ces corps pourraient remonter au XVIIe siècle, à
l'époque de la guerre de Trente Ans (1618-1648). Belfort a essuyé plusieurs
sièges importants lors de cette "guerre des Suédois", notamment en
1633. A l'époque, les cimetières sont confessionnels: ils sont réservés aux
catholiques. Or, l'armée suédoise comptait de très nombreux soldats protestants
(français, allemands, danois...). Aurait-on voulu enterrer deux "Suédois"
en dehors des murs de la ville catholique ??
C'est tout le charme de l'Histoire: réfléchir, imaginer toutes les réponses
à une énigme, puis les confronter aux nouveaux indices recueillis sur le
terrain pour confirmer les hypothèses, ou les rejeter. Nous en saurons sans
doute bientôt un peu plus.
En attendant, vue l'importance de ces découvertes pour l'Histoire de
Belfort, je demande au maire de Belfort de tout mettre en œuvre pour aider les
archéologues dans leur enquête historique. Il faut pour cela qu'il arrête de
voir dans ces fouilles une entrave à ses travaux, mais bel et bien une
opportunité pour l'Histoire de notre ville.
Les commentaires récents